L’urubu … (article de Michel Lecumberry)
Ils sont partout présents, villes et
leurs abords, villages, rives de fleuves, plages et îles, seule la dense forêt
ne convient pas à leur vol d’envergure. C’est le premier oiseau qui vient
intriguer la curiosité des visiteurs du pays, tout le monde n’est pas ornitho
émérite, les questions fusent : - C’est un aigle ? Pas exactement,
c’est un vautour. Comment le nomme-t-on ? La population panaméenne
l’appelle le Gallote ou le Gallinazo*1. Les scientifiques l’ont
baptisé Coragyps atratus
et placé dans la famille Cathartidae.
Comme il n’est pas
particulièrement farouche, on va pouvoir l’approcher de près, par exemple lors
de la visite d’un fort à Portobelo, et le pauvre charognard aura alors droit à
quelques commentaires désobligeants que l’on pourrait résumer par : - Oh !
Qu’il est laid ! Personnellement, il me fait plutôt penser à quelques
personnages des tribunaux d’Angleterre affublés de leurs perruques à crans. La
comparaison s’arrêtant ici, je ne tiens pas à faire d’autres liens de
ressemblances pour ne pas affliger ces braves magistrats emperruqués ou manquer
de respect à notre utile volatile charognard.
Utile, certes il l’est. Ses
escadrilles sont les indéniables auxiliaires des services de nettoiement du
Panama, qui sont parfois, il faut le dire, un brin déficients. L’éboueur à
plumes, cousin éloigné de nos grands planeurs pyrénéens ou alpestres, va
suivre à peu de choses près le même rythme quotidien. Après s’être bien réchauffé
les rémiges aux premiers rayons de soleil, en bande ils s’élèvent vers l’azur,
leur mirador préféré*2. Hissés au point limite de leur
exceptionnelle acuité visuelle, ils s’adonnent à d’inquiétantes spirales
d’observation, portés par de complices courants ascensionnels. Pas la moindre
petite charogne ne peut échapper à leur regard laser. Pour faire disparaître un
cadavre en quelques minutes, les "nettoyeurs" de nos thrillers
cinématographiques trouvent ici de fameux concurrents, à peine s’ils vont
laisser quelques os qui finiront de blanchir au soleil. Le Gypaète barbu n’est
pas là pour les supplanter au sommet de la chaine alimentaire locale et effacer
ces dernières traces des agapes de ces voraces volatiles.
Il aime aussi à fouiller les
décharges publiques autorisées ou sauvages, ces dernières ne manquent pas, et
ne néglige pas les zones urbaines. Leur présence est notoire dans la capitale,
leurs postes d’observation faisant parfois preuve d’irrévérence, les statues
religieuses et même le Palais Présidentiel se passeraient bien de
l’accumulation de leurs fientes… Le petit côté "fil télégraphique de Lucky
Luke" doit donner des frissons à quelques éminences religieuses ou
politiques, sûr que notre regretté Brassens en eut écrit quelques succulentes
strophes.
Suivant l’adage "on n’est
jamais mieux servi que par soi même", en cas de disette, suite à un défaut
de propices cadavres, il n’hésite pas à tuer lui-même. Pourront en faire les
frais quelques jeune héron, un canard sauvage ou domestique, un veau nouveau né
ou encore de petites tortues en bord de mer. En dessert une petite douzaine
d’œufs ou de fruits bien pourris ne le rebuteront pas.
Pour l’observateur lambda, cela
ne crève pas les yeux, mais les scientifiques notent qu’à l’instar de ses
congénères du monde entier la population de ce vautour est en diminution. Ceci,
suite aux effets d’accumulation dans leur organisme des polluants de nos
cultures et de nos déchets.
Petite incursion dans sa vie
privée: Urubu est monogame à vie et sa femelle pond une fois par an, déposant
un ou deux œufs dans le creux d’une souche, parfois à même le sol. La couvaison
dure de 38 à 42 jours. Les jeunes s’envoleront deux mois environ après
l’éclosion et peuvent espérer vivre de vingt à trente ans. Adultes, ils
mesureront en moyenne 65 à 70 cm et leur envergure atteindra 1,80 m.
Il est tellement présent dans la
vie quotidienne des panaméens qu’il fait aussi partie de certaines
manifestations folkloriques ancestrales telles que les défilés de la fête du
Corpus Christi de la Villa de los Santos. Voir l’anecdote évoquée comme origine
de la Danza de los Gallinazos dans cet
article.
Pour terminer, précisons que l’Urubu
noir a quatre cousins présents au Panama dont le plus connu est le Zamuro à
tête rouge, appelé aussi Galote, c’est Cathartes
aura. A part la couleur de leur tête il est difficile de les
différencier surtout de loin. Ils partagent territoires et mœurs de vie. Le
Zamuro est beaucoup moins fréquent.
Notes :
*1- On peut traduire par grosse poule
*2- Il plane en vol d’observation à
environ 2800m d’altitude